Perehod - Place Vrémya

Roland


Le vent souffle comme toujours dans les rues de Perehod, dispersant et enflant tour à tour les cris et les râles de la cité. Ce vent-là n’est pas agréable, un ricanement froid et irritant mais tous les habitants s’en accommodent. Roland s’en moque d’ailleurs. Rares sont les possibilités d’échapper aux obligations de la Forteresse, à ses atmosphères oppressantes, à ses intrigues qui fourmillent autant que ses coursives. Même simple garde, il est toujours bon de s’échapper de ses murs, la rue est une sinécure, une agréable distraction.
Mais Roland n’a pas le temps de flâner. Jour de marché, il lui faut trouver un cordonnier avant que ses bottes ne tombent en lambeaux d’elles mêmes. Eventuellement une babiole pour Eva, sa fille, assortie de quelques nouvelles. Elle a grandi, parait-il, du moins, c’est ce qu’affirme un lointain cousin…
La place Vrémya est comble… Fouillis de denrées, d’artefacts, d’hommes et de femmes courant à leurs affaires, ou discutant avec acharnement les prix. Dans un coin, un troupeau maussade et triste de pauvres hères est rassemblé. Des esclaves… Un marchand hurle sur un ton monocorde la qualité de ses tissus. En passant devant les étals, Roland a l’impression de reconnaître une des servantes de la citadelle. Mais il y a tant de gens en ces murs, après tout. Par habitude, il salue la femme en continuant son chemin.
Au milieu de cette cacophonie brouillonne, indissociable de ces jours pleins de vie où la cité semble se concentrer dans cette place cernée de murs, circule évidemment la faune des bas-fonds. Roland avise une bande de jeunes maraudeurs, collant nonchalamment aux basques des marchands et bourgeois, et pose avec précaution une main sur sa bourse, l’autre sur son épée. Il repère enfin le cuir et le symbole qui distingue l’étal du cordonnier, lorsque des éclats de voix, répercutés par les façades, couvrent la rumeur de la place. Un instant de flottement, durant lequel se détachent quelques mots, braillés d’une voix avinée : « ‘spèce d’âne impuissant !». Les gens s’esclaffent. Encore une scène conjugale au bordel, entre Trophyme et sa tendre épouse…
Presque un sourire et un haussement d’épaules. Roland salue sobrement l’artisan et entreprend de discuter le prix de nouvelles bottes.

Fotina


Dites donc, croyez pas me voler ! Vous les faites venir de l'autre côté de l'océan vos légumes ? Non ! bon alors réajustez moi un peu ces prix !

Les mains sur les hanches, elle fusille le maraicher d'un regard mauvais. C'est'y pas malheureux de prendre une femme pour une cruche à ce point là ! C'est pas parce qu'on ne brille pas par l'éducation qu'on est sot tout de même. L'autre gesticule, s'énerve, argumente que la saison n'a pas été bonne, qu'il faut bien qu'il vive ... le baratin habituel.

Oui da ! et bien, changez de métier mon vieux si celui là ne vous nourrit plus, mais comptez pas sur moi pour vous engraisser. Alors combien cette fois ? Et dépêchez vous, sinon je vais me fournir ailleurs, vous n'êtes pas le seul voleur de la place.

Le vendeur se renfrogne, le monde autour commence à tendre l'oreille, ce genre de femme n'est pas bon pour les affaires. Il lui fait signe de s'approcher et lui glisse un prix à l'oreille. Hochement de tête d'approbation, les pièces changent de mains en même temps que la cagette de légumes convoitée. Elle se la cale sur la hanche et se retourne pour voir s'il y aurait possibilité de s'offrir le verre espéré. Dans la foule, un homme la salue d'un signe de tête. Elle rend le bonjour et fronce le nez à la recherche de ce visage qui lui dit quelque chose.

où j'l'ai d'jà vu lui ......

Pénible ça ... et voilà, elle savait par avance, qu'elle allait passer le reste de la matinée à trifouiller les tréfonds de sa mémoire pour y dégoter le nom qui ne veut pas venir. Y dégoter peut être ! Fendant la foule à coups d'épaules bien ajustés, elle se met en devoir de retraverser la place vibrante de clameurs.

Roland


Un cri dans la foule: "Soldat!" et Roland par habitude se retourne à cet appel, sans tout d'abord vraiment en chercher la provenance. A peine le temps d'apercevoir la servante croisée un peu plus tôt sur le marché, qu'un remous dans la foule lui fait perdre l'équilibre.

"Foutredieu..."

A ses pieds, un vagabond à l'air sonné énumère d'improbables moutons. Et difficile de jouer la carte de l'indifférence quand cela vous tombe sur les chausses. Bon sang de journée! Un regard dur et des mots guère plus tendres prêts à jaillir, le soldat lève son regard sur l'auteur du pugilat, qui déjà se détourne.... Quelque chose dans cette silhouette...

Ses injures bloquées dans la gorge, Roland regarde l'héritier Senjak retournant aux enchères qui se poursuivent.
Il s'accroupit auprès de l'homme dans les vapes, lui secouant rudement l'épaule.

"Allez, gars, reprends le contrôle de ce qui te tient de cervelle."

Roland, de sa position imprenable près du sol jonché d'ordures, lève ensuite un regard quelque peu désabusé sur la servante, son panier au bras, arrivée sur ces entrefaites.